Rénovictions pour évincer des personnes aînées : une tendance lourde à l’étude

Le phénomène de rénovictions prend de l’ampleur un peu partout à Montréal et au Québec et il touche particulièrement les personnes âgées qui se voient obligées de s’éloigner des quartiers centraux. C’est une observation qu’a fait Julien Simard, gérontologue social et chargé de cours au certificat en gérontologie de l’Université de Montréal, en marge d’une conférence qu’il a donné lors de la première édition du Salon des aînés de LaSalle, le 7 septembre, à la résidence Le Cavalier.

Pour sa thèse de doctorat, le spécialiste de la précarité résidentielle chez les aînés a étudié des cas d’évictions dans les quartiers Rosemont, la Petite-Patrie, Villeray et le Plateau-Mont-Royal entre 2016 et 2019. Ses recherches lui ont permis de mettre à jour l’impact de ces pratiques pour les personnes aînées, mais aussi les techniques utilisées par les propriétaires, comme les évictions formelles et informelles. M. Simard va d’ailleurs publier un livre sur le sujet en 2024.

Techniques utilisées par certains propriétaires dans les évictions des personnes aînées

Les évictions formelles sont celles qui respectent la loi. Quand elles sont informelles, ces évictions utilisent de la violence psychologique et de l’intimidation.

« Ce que j’ai réalisé, c’est qu’il y a souvent un mélange des deux. Ils s’essaient avec l’informel en premier et puis vont vers le formel, quand ça ne fonctionne pas ou l’informel permet d’accélérer le formel, car les délais sont très longs », affirme le chercheur en concédant que son étude présente un biais de sélection, puisqu’il a principalement travaillé avec les comités de logement.

M. Simard précise que dans le système actuel, c’est au locataire, sauf exceptions, de prendre le dossier et de le contester.

« Les quartiers centraux montréalais vont être parmi les territoires québécois où il y a le moins d’aînés. Une des causes, ce sont les évictions et la gentrification qui affecte la capacité des locataires âgés à rester sur place. Les gens ne sont pas capables de vieillir sur place », explique M. Simard en ajoutant que c’est à la fois pour des raisons financières, de stabilité résidentielle, que d’accès aux soins de santé à domicile.

Selon lui, c’est plutôt ironique, puisque les quartiers centraux sont justement les mieux desservis en service de proximité et en transports en commun.

Poussées par la gentrification et la jeunification, les personnes âgées s’installent à LaSalle et Lachine

« On relègue le vieillissement aux extrémités de l’île, comme ici à LaSalle. On voit vraiment une spatialisation du vieillissement à Montréal. C’est la « jeunification » », observe l’expert.

Il concède qu’il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur le phénomène, puisque moins de 10% des cas se retrouvent devant le Tribunal du logement (TAL), le reste étant informel.

Pourtant depuis le 10 juin 2016, l’article 1959.1 du Code civil du Québec est censé protéger les aînés dans le contexte d’une reprise de possession. En effet, le locateur ne peut reprendre un logement ou en évincer un locataire lorsque ce dernier ou son conjoint, au moment de la reprise ou de l’éviction, est âgé de 70 ans ou plus, occupe le logement depuis au moins 10 ans et a un revenu égal ou inférieur au revenu maximal lui permettant d’être admissible à un logement à loyer modique, selon le Règlement sur l’attribution des logements à loyer modique.

Selon Julien Simard, le TAL a prononcé peu de décisions favorables en ce sens.

D’après lui, ce mouvement de fond se retrouverait sur le marché locatif traditionnel, mais aussi dans les résidences privées pour personnes aînées. Il cite en exemple le cas médiatisé de la Résidence Mont-Carmel à Montréal.

Ce dernier pense que de transformer en organisme à but non lucratif les résidences qui seront vendues ou fermées, comme dans le cas des Jardins Gordon à Verdun, pourrait être l’une des solutions à ce problème.

Une conférence sur les aînés provenant de l’immigration présentée au Salon des aînés de LaSalle

C’est à l’invitation d’AIR-SOM/Centre Prisme que Julien Simard a présenté, au Salon des aînés de LaSalle, les conclusions d’un rapport sur lequel il a travaillé.

On y apprend entre autres que 44% de la population aînée est née à l’extérieur du Canada. Le pourcentage grimpe si l’on tient compte des deuxième et troisième générations.

« On a un vieillissement ethnoculturel très diversifié, mais malheureusement, les politiques publiques sont à la traîne », explique-t-il.

Pour la première édition du salon, 25 exposants étaient au rendez-vous. Les organisateurs et organisatrices estiment qu’environ 300 personnes y ont participé. Un bilan final sera fait prochainement.

La photo en haut de cet article a été prise par Carl Sincennes lors de la conférence donnée par Julien Simard, lors du Salon des aînés 2023 à LaSalle.