Tour du monde en un tour de table avec 5 femmes d’ici nées ailleurs et intervenantes communautaires à Lachine

Elles ont immigré au Québec et ont choisi d’y déposer leurs valises. Une fois installées, elles ont décidé de travailler à Lachine pour aider d’autres gens d’ici nés ailleurs qui ont aussi plongé dans l’inconnu en quittant famille et pays.

Rencontrées à la faveur d’une table ronde organisée dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, ces 5 intervenantes sociales ont accepté de partager leur expérience d’immigration au féminin.

Venues du Cameroun, de Djibouti, d’Albanie, de France ou de Colombie, certaines vivent au Québec depuis 25 ans tandis que l’une d’entre elles vient tout juste de s’installer à Lachine, après avoir passé quelques années à Québec.

Si toutes ces immigrantes s’entendent pour dire que le processus d’immigration est complexe, long, lourd et truffé d’incohérences, elles remarquent qu’il est au moins équitable, car elles n’ont pas l’impression d’avoir été désavantagées en tant que femme. 

En revanche, l’une d’entre elles souligne que l’expérience d’immigration est plus difficile dans son cas, particulièrement dans la sphère relationnelle, en raison de la couleur de sa peau.

Être une femme ici et ailleurs

À leur arrivée dans leur nouveau pays, toutes ont remarqué des différences assez importantes entre les conditions de vie des femmes d’ici et de leur pays d’origine. Certaines situations les ont particulièrement étonnées.

À l’Université Laval qu’elle a fréquentée dès son arrivée en 2019, la Camerounaise Carole Nlend a été agréablement surprise de découvrir que beaucoup de femmes y enseignaient. Une fois sur le marché du travail, elle n’a eu que des patronnes. Pour elle, c’est vraiment inspirant de pouvoir côtoyer des femmes qui réussissent à atteindre leurs objectifs professionnels.

Originaire de Djibouti, Nima Ali, résidente de Lachine installée au Québec depuis 1998, a tout de suite noté « qu’il n’y a pas de différence entre le travail des hommes et des femmes ». Cette façon de voir le travail contraste avec la vision africaine qu’elle connaissait.

Esmeralda Dani a quitté l’Albanie pour s’installer au Québec en 2018. La différence dans la représentation du corps féminin dans les médias québécois l’a immédiatement surprise. En Europe,  « la femme est objectivée alors qu’ici, on sent une conscientisation de la valeur du corps des femmes ».

Pour Andrea Diaz, au Québec depuis 2009 et à Lachine depuis 9 ans, c’est le pouvoir des femmes, le respect et l’égalité dont elles jouissent qui ont été frappants. Les femmes ne sont pas sacralisées et campées dans un rôle de « femme fleur » s’appuyant sur la maternité et la perception d’une fragilité féminine. La Colombienne d’origine applaudit également la façon d’élever ensemble les enfants et le partage des tâches ménagères entre conjoints.

Installée au Québec depuis 2018, la Française Justine Bouvier affirme que c’est principalement au Québec qu’elle a pris conscience des enjeux féministes. Elle confie qu’elle a été « hyper étonnée de voir une femme au volant d’un bus », une situation encore peu courante en France. Justine voit d’un bon œil cette fluidité dans les rôles en milieu de travail. Elle salue aussi l’utilisation du langage inclusif, également plus fréquente y compris dans les milieux professionnels.

Femmes d’ici, immigrantes et intervenantes

Que ce soit par vocation, par intérêt ou par accident, toutes ces femmes d’ici nées ailleurs ont choisi de mettre à profit leur expérience d’immigration pour soutenir les nouveaux arrivants et arrivantes à Lachine.

La carrière d’Esmeralda Dani, qui a œuvré dans le milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur pendant plus de 10 ans, a pris un tournant surprenant quand elle a découvert le bénévolat qui n’existe pas dans son pays natal. Intéressée par le communautaire, elle a fait du bénévolat au CSAI pendant quatre mois. Cette expérience l’a poussée à entamer une profonde réflexion sur sa carrière. Elle occupe maintenant un poste de chargée de projet pour Toutes origines, nous sommes Lachine où elle peut mettre à profit ses compétences psychopédagogiques.

Andréa Diaz travaille au COVIQ dans le quartier lachinois de Duff-Court où elle est responsable familles-adultes. Elle s’occupe entre autres des femmes qui ont fait une demande d’asile avec un parcours bien différent des immigrantes « puisqu’elles n’ont pas pu préparer le voyage ». Ces dernières arrivent dans un état d’anxiété élevé, sans leurs effets personnels, en détresse après avoir perdu tous leurs points de repère. Mme Diaz les aide à retrouver la confiance en soi et rebâtir leur image personnelle en tant que femme.

Passionnée par la psychologie, Carole Nlend est devenue intervenante par accident. « La psychologie demande beaucoup de neutralité et d’objectivité », précise-t-elle. Elle avait un cheminement tout tracé jusqu’à ce qu’elle réalise qu’elle fait preuve de trop d’empathie et ne pouvait gérer ce flot d’émotions, finissant souvent en larmes au cours d’une intervention. Désormais, elle travaille comme coordonnatrice de Triple P depuis février 2023. Son nouveau poste rejoint son intérêt envers les communautés socioculturelles.

D’abord installée en Ontario avant son déménagement au Québec pour des raisons familiales, Nima Ali a priorisé sa famille pour prendre soin de ses enfants. Avant de devenir agente de projets pour Lachine accueille, elle y a fait du bénévolat. Elle a finalement choisi de travailler et de s’impliquer auprès des gens pour la grande satisfaction que cela lui donne.

Justine a terminé ses études de droit pour finalement réaliser que c’est le travail social plus que le droit qui la passionnait. « Le communautaire, c’est naturel. », dit-elle. Chargée de projets à Lachine accueille, elle aime s’intéresser à toutes les situations d’oppression dans le monde.

Est ce que ces cinq intervenantes travaillant à Lachine regrettent d’avoir choisi des carrières dans le milieu communautaire ? Au contraire. Elles mentionnent toutes leur fierté et leur satisfaction de voir les personnes qu’elles ont accompagnées s’épanouir et prendre leur place dans leur nouvelle communauté.

Enjeu important pour les femmes demandeuses d’asile

Avant de terminer la discussion, Andréa et Justine ont tenu à souligner l’un des enjeux auxquels font face les personnes qui ont demandé l’asile : l’absence d’accès à des services de garde subventionnés. Cette situation augmente la précarité et la vulnérabilité de nombreuses femmes.

En janvier 2023, une coalition formée des comités de concertation d’une douzaine de quartiers de Montréal a tenu une conférence de presse pour demander des ressources additionnelles pour les organismes communautaires afin de soutenir les demandeuses et demandeurs d’asile à leur arrivée à Montréal. Parmi ces organisations qui militent pour un changement des règles se trouve Concert’Action Lachine.

La photo en haut de cet article a été prise lors de la table ronde du 7 mars 2023 en présence de Justine Bouvier, Esmeralda Dani, Andrea Diaz ainsi que de Nima Ali et Carole Nlend qui ont toutes les deux souhaité que leur visage n’apparaissent pas à l’écran,