Rêver le secteur Hickson-Dupuis à Verdun avec les projets étudiants de l’école de Design de l’UQAM

Une version précédente de ce texte indiquait que le projet SOH-CAH-TOA répond à l’équation sin 1 + sin 2 = tan 1, mais en fait, elle répond à la superposition sur le site du projet des graphes des trois fonctions mathématiques sin(x), sin(2x) et tan(x).

Le comité citoyen de l’Opération populaire d’aménagement (OPA) du secteur Dupuis-Hickson a invité le 19 juin un professeur et un étudiant de l’École de design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à présenter des projets pour le secteur à des élus de Verdun, des employés de l’arrondissement et des acteurs du milieu communautaire.

Le quartier doit faire l’objet d’un important redéveloppement d’ici 2030 dont la vision urbanistique a été adoptée en juin 2021.

Une critique des tours et de la densité verticale

« J’ai vu monter les grands ensembles du nord de Paris. Ces ensembles se sont révélés tellement inadaptés qu’ils ont été dynamités. Entre ces bâtiments, il n’y pas de vie, pas d’espace urbain, alors que pour l’architecte, l’espace de la ville est un espace au même titre qu’une maison », souligne d’emblée Dr. Nicolas Reeves, professeur titulaire et directeur de NXI GESTATIO Design Lab à l’École de Design de l’UQAM.

Il critique d’ailleurs la densité verticale des nouvelles constructions qui serait très peu environnementale, puisqu’elles impliquent d’utiliser des matériaux peu écologiques pour résister aux vents.

Tous les projets présentés respectent une hauteur relativement faible et les critères de densité de la zone. La voiture n’y a pas sa place, sauf pour les véhicules d’urgence.  Une grande place est faite aux lieux de rencontre et à l’environnement et toutes les entrées s’alignent avec les rues existantes autour. Ils ont été conçus en seulement 6 semaines sur le thème du temps.

« C’est vraiment une façon différente de voir la ville, ce n’est pas quelque chose auquel on est habitué. Ce n’est pas de placer des tours ou de répéter des habitations en rangée, mais de s’inspirer de ce qu’on connaît ailleurs, de regarder partout dans le monde comment l’architecture est traitée et de réintégrer ça dans notre contexte », commente l’étudiant présent à la présentation, Jérémy Turbide.

Des projets variés et avant-gardiste pour Hickson-Dupuis

Le premier projet, en plus du temps, intégrait la théorie de la relativité restreinte d’Albert Einstein, où une masse impacte l’espace-temps. Dans le cas concret, « la densité déforme l’espace. La forme des bâtiments est déformée, est déterminée par cette déformation », explique Dr. Reeves. Toutes les allées convergent vers une place centrale. Lorsqu’on s’en approche, les bâtiments sont plus hauts.

Le deuxième projet, intitulé « Arboreal » associe le temps à la croissance des arbres. « Notre trame urbaine est une superposition entre deux éléments. La première est la trajectoire du soleil, donc les courses du soleil, qui viennent dessiner les axes principaux de notre îlot, puis le principe d’arborescence. On a pris les systèmes racinaires de deux arbres présents à Verdun, soit l’érable argenté et l’épinette blanche », détaille l’étudiant. 

Le troisième projet, Olympus, est basé sur la dialectique de la durée, où ce qui nous entoure naît de la rencontre et de l’interférence de tous les rythmes du monde, des ondulations. Le projet s’articule donc autour de trois trames musicales. La première est une série de passerelles, il y a aussi des petites cours donnant accès aux maisons, en gradation, des jardins japonais, des jardins communautaires et des pavés alvéolaires.

Le quatrième, Lacis, se base sur une carte du fleuve Saint-Laurent répliqué sur le secteur, superposés aux sentiers du Mont-Royal. « La rencontre des deux trames deviennent des accidents qu’il faut gérer », explique le professeur. Il y a des parcs et des places publiques ainsi que des petites zones herbées. Mais surtout, il y a une bibliothèque, placée au centre, des résidences étudiantes, un centre communautaire et un centre de la petite enfance (CPE).

Le cinquième, « SOH-CAH-TOA » s’appuie sur l’impression 3D et à la superposition sur le site du projet des graphes des trois fonctions mathématiques sin(x), sin(2x) et tan(x). Il comporte des couloirs intérieurs, des places intérieures et des résidences étudiantes. Il serait construit avec du béton en 3D, recouvert de briques. Une grande place a été accordée à la lumière.

Le sixième tentait de reproduire le cycle géologique de la roche. En haut du quartier, on retrouverait des « roches cristallines », ensuite des roches « métamorphiques » et des roches « sédimentaires ».

Le dernier se base sur le livre La critique de la raison pure d’Emmanuel Kant. On y retrouve, entre autres, des bâtiments de forme hexagonale et le passage des seuils y est important.

Mais, comment passer du rêve à la réalité à Verdun ?

Bien que plusieurs dans l’assistance aient applaudi les concepts présentés, certains, dont deux élus, se sont questionnés sur leurs faisabilités.

« Ses projets sont-ils logistiquement réalisables ? On le sait tous, les quartiers sont des êtres vivants. On va construire un bâtiment, ensuite, ça va vivre. Vous nous avez présenté des projets pas toujours en ligne droite avec des allées parfois très étroites. Je pense aux Travaux publics, comment ils vont déneiger », a demandé le conseiller d’arrondissement, Enrique Machado.

Dr Reeves a répondu que chaque proposition permettait des points d’accès aux services d’urgence, ainsi qu’aux camions de déménagement et que d’autres villes avec de petites rues fonctionnent.

Une personne a dit aimer que les projets soient majoritairement piétonniers. Une autre se demandait s’ils pouvaient vraiment répondre aux besoins de la population, ce à quoi quelqu’un qui travaille avec des clientèles fragiles a répondu par l’affirmative. 

« C’est très visionnaire, ça fait rêver. On a vu des jardins communautaires, c’est le genre de choses qui pourraient toucher la population. C’est sûr qu’au niveau opérationnel, c’est plus compliqué à voir, mais je pense que c’est beau, il y a des valeurs communautaires. On le voit à travers les plans », a commenté quelqu’un du Grand potager de Verdun.

« Ce que je retiens pour notre quartier, c’est de placer l’humain au cœur du projet. J’ai beaucoup aimé l’idée de la garderie à côté de la résidence pour aînés, les places, le fait qu’on peut marcher. Je vis dans Pointe-Saint-Charles et je me rends compte que mes nouveaux voisins ont tous trois voitures », a enchaîné une autre citoyenne.

« C’est toujours agréable de rêver et j’ai vraiment fait l’exercice de ne pas regarder le pavé alvéolé et de me dire que quand on en met en ce moment, ça ne fonctionne pas. L’année prochaine, on va devoir allouer un contrat pour le changer. La vision de village m’interpelle, car c’est ça que les gens veulent », a conclu la conseillère d’arrondissement, Céline-Audrey Beauregard, en parlant des consultations qui ont été menées. La conseillère d’arrondissement se demande également si les résidents et résidentes de Verdun sont prêts à voir des concepts aussi avant-gardistes.

La photo en haut de cet article est une photo d’archives du quartier Hickson-Dupuis prise par Jean-Philippe Sauret en juin 2021.