Article mis à jour le 1er décembre pour apporter une précision à un événement de 1933.
L’histoire des rues, des parcs, des commerces et des lieux relate les efforts, succès et difficultés des personnes qui les ont planifiés, conçus et construits. Le récit des activités des générations précédentes permet de mieux comprendre nos villes. C’est l’objectif que vise cette série d’articles de Nouvelles d’Ici, Histoire à revoir aujourd’hui.
L’histoire de Seagram reflète bien l’époque des débuts de la Ville de LaSalle. Il y a eu l’industrialisation, la prohibition aux États-Unis, la transformation du marché de l’emploi, la modernisation et le déclin de cette usine reconnaissable à ses immenses bâtiments de briques rouges sur la rue Lafleur.
Industrialisation
En 1912, le conseil municipal de LaSalle cherche à développer la ville. Et, au début du 20e siècle les emplois sont principalement générés par l’industrie. L’emplacement de LaSalle s’y prête bien : de grands terrains à proximité des chemins de fer et du quartier le plus peuplé de LaSalle, les Highlands.
De plus, les entreprises alimentaires ont besoin de beaucoup d’eau et une eau de qualité, facilement accessible avec le fleuve Saint-Laurent tout près.
Seagram est une compagnie canadienne établie sur la rue Peel. Les origines de Seagram remontent à une brasserie de Waterloo (Ontario) fondée en 1857 par un immigrant allemand et à Joseph E. Seagram qui l’a rachetée et transformée en distillerie. Samuel Bronfman et son frère Allan ont fondé la Distillers Corporation Limited en 1924 et racheté la distillerie en 1927. Le nom de Seagram sera celui qui persistera même si la suite de l’histoire appartient à la famille Bronfman. En yiddish, Bronfman signifie « fabriquant de brandy ».
En 1924, le conseil municipal approuve le plan de Allan et Samuel Bronfman (1891-1971). En échange de l’établissement d’un important employeur, la Ville s’engage à construire des canalisations pour desservir la distillerie et accorde une réduction de taxes importante. Cette « commutation de taxe » sera une formule utilisée par la suite pour attirer de nombreuses autres industries.
L’entente inclut que 50% des employés doivent être originaires de LaSalle pendant 10 ans, au moins 250 jours/année. La compagnie doit fournir régulièrement le nom et l’adresse des employés.
En 1926, Seagram acquiert un premier terrain de la famille Lafleur, sur la rue Lafleur. Celui-ci sera agrandi par la suite en 1958 et 1963.
Emplois et production
Les citoyens ont bien besoin de ces emplois. Suite à la crise de 1929, le taux de chômage au Québec se situe entre 27 et 32%.
Les voies ferrées facilitent le transport de la matière première, des céréales et du produit final. La production se fait à partir de grain de malt ou de maïs qui arrive principalement de l’Ontario. Le grain est déposé dans des salles de dessèchement pour 24 heures, puis versé dans des réservoirs où s’effectuent des réactions chimiques avant de se transformer en liqueur.
Par la suite, il y a mise en baril pour le vieillissement, puis les barils sont vidés dans des réservoirs. La liqueur est ensuite filtrée et purifiée. Les dernières étapes sont l’embouteillage et l’étiquetage, des tâches principalement réservées au personnel féminin. Cette forte présence des femmes explique la présence de contremaitresse dès 1930, ce qui est avant-gardiste pour l’époque.
En 1944, la semaine de travail est de 56 heures : 4 jours de 8 heures et 2 de 12 heures. Les conditions s’amélioreront grâce au syndicat pour s’établir à 42 heures/semaine en 1960.
Prohibition
L’implantation de cet employeur majeur est un beau succès. La prohibition règne aux États-Unis de 1919 à 1933. Montréal devient alors la destination de nombreux américains.
De plus, les bootleggers de New York, New Jersey et autres états apprécient le whisky de Seagram. Au Canada, il est illégal d’exporter de l’alcool aux États-Unis, mais l’exportation d’alcool à Saint-Pierre et Miquelon, un territoire français au large de Terre-Neuve, permet aux contrebandiers de contourner cette loi.
Le gouvernement des États-Unis poursuivra Seagram pour 60 M$ pour taxes impayées lors de la prohibition, mais Samuel Bronfman déclarera toujours qu’il n’était pas responsable de la destination finale de ses produits. Le tout se terminera par une entente à l’amiable de 1,5 M$ sans admettre aucune activité illégale.
Modernisation et essor
L’automatisation dans les années 1960 permettra la modernisation des lignes d’embouteillage et de meilleurs convoyeurs pour le transport des barils. Le nombre d’employés en sera grandement affecté. Il y avait 2088 employés en 1957, 1000 employés en 1960 et 500 employés en 1964.
Selon les journaux de ces années, c’est une des distilleries les plus modernes de l’époque. Il y a un important laboratoire d’essais et de contrôle de la qualité.
En 1940, le laboratoire fait une découverte intéressante: il est possible de fabriquer un antigel à partir des déchets d’alcool. Ces rebuts qui étaient auparavant jetés dans le fleuve, génèrent plutôt des profits intéressants.
Selon Omar Zaïd, Khadoudja Zitouni et Denis Gravel dans leur livre Les industries à LaSalle de 1912 à 2002, « LaSalle est la 6e ville industrielle du Québec. En 1959, ce secteur industriel crée 7378 emplois, dont 1578 sont occupés par des résidents de LaSalle ».
En 1950, la majorité des distilleries appartient au groupe CEMP Investments, acronyme de Charles, Edgar, Mindel et Phyllis, les 4 enfants de Samuel Bronfman. Samuel Bronfman meurt en 1971.
La crise du pétrole de 1979 et la récession de 1980 nuisent aux entreprises, mais Seagram continue d’occuper une place importante. Toujours basés à Montréal, ils sont parmi les plus grands fabricants et distributeurs de spiritueux, avec des usines aux États-Unis et en Écosse.
Les gens de LaSalle et l’alcool
La Ville de LaSalle a adopté un règlement en 1912, interdisant toute vente d’alcool sur le territoire de LaSalle. Ironie du sort, les employés de Seagram qui fabriquent de l’alcool ne peuvent pas en acheter à LaSalle. En 1933, un référendum permettra de se procurer seulement de la bière dans les épiceries.
Bruno Boucher et Denis Gravel l’expliquent dans leur ouvrage Propriétaires et promoteurs à LaSalle: « Il n’existait aucun bar, hôtel ou taverne dans les limites de la ville. Cette situation n’empêchait bien évidemment pas les gens de consommer ». LaSalle avait donc son règlement de prohibition, tout comme Verdun. La restriction fut assouplie à LaSalle en 1967.
Déclin
Le déclin de l’industrie de distillation, la baisse de consommation de spiritueux, la concurrence de l’industrie brassicole et les changements des goûts des consommateurs auront le dessus sur Seagram.
Les 4 bâtiments situés à l’ouest de la rue Lafleur sont démolis en 1996 et le terrain est vendu. En 2001, l’usine de Seagram est cédée à Diageo et la production cesse en 2005. Les bâtiments servent à l’entreposage pour un temps. Dans des barils de chêne, l’éthanol à 77% y vieillit de 3 à 10 ans pour être ensuite purifié et transformé en whisky.
Phyllis Lambert, née Bronfman, sera connue pour son implication dans de nombreuses causes. Férue d’architecture, elle participe à de nombreux projets avec le célèbre architecte Mies van der Rohe. Elle fonde le Centre Canadien d’Architecture, contribue à la fondation d’Héritage Montréal et participe à la revalorisation du Canal Lachine.
Aujourd’hui
Certaines villes réussissent à recycler ces vieilles usines de brique rouge. Il y a, par exemple, le complexe Dompark (ancienne usine de la Dominion Textile sur la rue Saint-Patrick) et les Shop Angus dans l’est de Montréal.
Aussi, la Distillerie 1769 s’est installé récemment dans les locaux de l’ancienne Seagram pour y produire du whisky et autres spiritueux.
Le 25 septembre 2024, il y a eu une consultation publique sur le redéveloppement des bâtiments patrimoniaux de Seagram. Les bâtiments ont des hauteurs et caractéristiques différentes de la règlementation qui requièrent des ajustements pour être exploités et permettre la création du Quartier Whisky.
La photo de couverture est une composition de 3 clichés des murs extérieurs d’aujourd’hui et d’hier, mais aussi une vue aérienne. Crédits photos : Luc Gagnon, Éric Morin et Société historique Cavelier-de-LaSalle
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