Sur une table vide, la carte d'un quartier fictif. Autour d'autres tables, des personnes discutent, pour argumenter sur l'endroit où devrait s'y trouver
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Consultation publique sur l’itinérance à Montréal : un jeu de rôle pour mieux cerner les enjeux de cohabitation dans Le Sud-Ouest

Comment accueillir et accompagner les personnes en situation d’itinérance au cœur de quartiers dans lesquels la cohabitation harmonieuse avec la population peut devenir un enjeu ?
L’Office de la consultation publique de Montréal (OCPM) mène actuellement une consultation visant à fournir des recommandations à la Ville de Montréal. C’est dans ce cadre que s’est tenue une séance de conversation citoyenne, sous forme d’un jeu de rôle, au Centre culturel Georges-Vanier dans Le Sud-Ouest le 16 janvier. 

Un scénario, deux choix et une décision difficile pour 36 membres du public

Vous détenez une crèmerie à Montréal, non loin d’un parc fréquenté par votre clientèle. Personnalité joviale, vous organisez des activités de levées de fonds conjointement avec l’école du quartier, pour financer les activités sportives des enfants défavorisés. Votre commerce est ouvert uniquement de mai à octobre, et c’est à l’extérieur de la ville que vous habitez le reste de l’année.

Vous apprenez que la Ville prévoit d’ouvrir un service d’hébergement d’urgence et de transition de 30 places, destiné aux personnes itinérantes. Lors d’une rencontre d’information, vous découvrez que deux choix sont à l’étude. 

Le premier site, choix A, est au milieu du quartier, à proximité d’une station de métro mais aussi d’un centre local de services communautaires (CLSC). Le bâtiment est déjà propriété de la Ville et a servi durant la crise sanitaire comme centre d’hébergement d’urgence, avec cuisine industrielle, douches et espaces privés.

Il y a un second choix B. Un promoteur privé possède un autre site, et une dépense s’impose donc si la Ville veut acquérir l’endroit. Le bâtiment a non seulement les installations nécessaires, mais il est également plus vaste. En revanche, il est au milieu d’une zone industrielle, enclavée entre une route sans trottoir et un ancien chemin de fer. C’est éloigné et isolé, à 2 km de votre crèmerie, du CLSC et de la station de métro.

Le choix vous appartient. Où accueillir le service d’hébergement d’urgence et de transition ? 

Si vous étiez une personne travailleuse de rue qui connait des gens sans logement, votre choix serait-il le même ? Qu’en serait-il si vous étiez parent d’un jeune enfant, qui a choisi le quartier pour la tranquillité de ses rues et de son parc ?

Tels étaient les choix soumis au public lors de l’atelier de jeux de rôle organisé par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Au Centre culturel Georges-Vanier dans Le Sud-Ouest, 36 personnes ont pris part à cette conversation citoyenne lors de la soirée du jeudi 16 janvier.

Le site parfait existe-t-il ? 

À chacune des cinq tables, les personnes devaient incarner le rôle qui leur était assigné et justifier leur choix de la zone A ou B. 

La carte d'un quartier fictif, avec deux cercles jaunes des deux bords opposés. Un premier choix A se trouve collé à la station de métro. Le deuxième choix B est collé à la zone industrielle, dans un endroit coupé du reste.
Les participants et participantes devaient inscrire leur choix sur des feuilles, ainsi qu’expliquer dessus l’argumentaire du personnage qui leur a été attribué.

Pour permettre à l’activité de suivre son cours, Nouvelles d’Ici a décidé de ne pas attribuer les propos tenus à cette occasion et rapportés dans cet article.

« La Ville a pas mal de fonds pour acheter le site B » disait l’une des personnes jouant le rôle du conseiller municipal. 

Une table était largement en faveur de placer la ressource itinérante dans la zone industrielle. Pour ses membres, c’était la solution idéale afin que les personnes sans-abri « se sentent accueillies », sans exposer la communauté aux enjeux multiples « de toxicomanie et de santé mentale ». Ainsi, toutes les personnes vulnérables, enfants et personnes itinérantes, seraient en sécurité.

Plusieurs autres cercles de parole étaient partagés entre les deux sites, avec une nette préférence pour le choix A à l’issue des discussions. La proximité des services était la principale raison citée, même si l’implantation dans le quartier n’allait pas se faire sans « bémols ».

Les difficultés seraient telles qu’une ancienne intervenante de rue a choisi la zone B isolée : la solution du confort. Elle a travaillé dans un secteur similaire à la zone A, où elle a été filmée pendant des semaines par le voisinage préoccupé par la situation. Dans le site industriel, personne n’est dérangé, personne ne jugera, selon elle. 

« On va aller se cacher derrière les arbres et avoir la paix. Mais fermer les yeux en cachant le problème, ça ne peut pas être ça la solution collective », a-t-elle cependant fait remarquer.

Confrontation sur la cohabitation de différentes vulnérabilités

La dernière partie de l’atelier a été consacrée aux échanges sur la manière d’installer un centre d’accueil des personnes en situation d’itinérance en harmonie avec la population locale. C’est à ce moment que les échanges entre tables ont pris une dimension confrontationnelle.

Dans Le Sud-Ouest, la proximité de la Maison Benoît-Labre à l’école primaire du quartier Saint-Henri a été vivement critiquée depuis son ouverture au printemps 2024, notamment par les parents d’élèves.

Une des tours illuminées de l’hôtel de ville de Sainte-Cunégonde, au 2450 rue Workman, qui abrite le Centre culturel Georges-Vanier.
La séance de conversation citoyenne de l’OCPM s’est tenue dans l’ancien hôtel de ville de Sainte-Cunégonde, aujourd’hui abritant le Centre culturel Georges-Vanier, au 2450 rue Workman.

Une première personne a mis de l’avant que le danger que représente la présence de personnes sans abri dans un secteur tend à être surévalué. Selon elle, la population réagit moins face à un réel danger, mais plus par dérangement face au changement.

Un homme du quartier a expliqué que s’il s’opposait à l’emplacement de la Maison Benoît-Labre, c’est parce que sa fille de 8 ans avait malheureusement été exposée, sur le chemin de l’école, à une agression sexuelle impliquant deux personnes en situation d’itinérance. 

Mais, une autre personne a alors rétorqué que plusieurs canaux exposent déjà les enfants à du contenu à caractère sexuel, et qu’il était donc injuste de blâmer les personnes en situation d’itinérance.

« On a été mis devant le fait accompli » a raconté une autre résidente du secteur à propos de l’installation de la Maison Benoît-Labre . « Ça a été mal fait », a-t-elle ajouté plus tard, non sans difficulté à contenir son émotion, ébranlée par la confrontation.

Et du point de vue, des personnes qui ont connu ou vivent une situation d’itinérance ?

Dans la salle, Brandon Fure et Pamela Bégin étaient présents. Rencontrés par la commissaire Judy Gold de l’OCPM lors d’un démarchage dans Le Sud-Ouest, les deux ont vécu des périodes d’itinérance et de mal-logement marquées par de l’errance. Dans son cas, M. Fure se retrouve pour la troisième fois dans la rue, après trois mois « de fous Jeux olympiques de la rénoviction », a-t-il mentionné en anglais.

 « Il y a quelques semaines, je commençais à réfléchir à la question de l’itinérance et de la cohabitation, j’avais des réflexions que je voulais partager », raconte Mme Bégin, elle aussi dans la langue de Shakespeare. Elle a saisi l’occasion de s’inscrire à la séance de l’OCPM quand son ami M. Fure lui en a parlé, avant que l’événement n’affiche complet.

Durant le jeu de rôle, elle a choisi la zone A près du métro et du CLSC, avant finalement d’opter pour la zone B en secteur industriel, a-t-elle expliqué en entrevue avec Nouvelles d’Ici à la fin de l’activité.

Selon elle, qu’elles aient un toit ou pas dans la zone A ou B, plusieurs des personnes sans-abris se déplacent entre les deux endroits. Les services se trouvent dans la zone A, mais la zone B procure de l’espace et de l’intimité. « Le A, c’est le B. Tu dois marcher à travers le A pour atteindre le B, parce que tu fais plein d’autres choses dans la rue », avance-t-elle en riant.

Brandon Fure a fait le même choix. « Les gens qui sont dans les marges vont graviter par eux mêmes vers ces endroits. Sinon la société, de par sa conception même, finit par les repousser. » 

Prochaine étapes pour la consultation publique

La prochaine activité de la démarche de consultation sera une séance d’information et de questions-réponses le 21 janvier de 19h à 22h, au Centre St-Pierre,1212 rue Panet, près de la station de métro Beaudry. Elle sera également accessible par webdiffusion.

La diffusion en direct sera visible au haut de la page de l’OCPM le jour même, quelques minutes avant la séance. Il sera possible de poser des questions à distance durant la séance, conformément aux directives affichées à l’écran.

Les images de l’article ont été prises par Aziz Mestiri, le 16 janvier 2025.


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Aziz Mestiri
Aziz Mestiri est journaliste au pupitre et sur le terrain à Nouvelles d'Ici ainsi que chargé de projets. Originaire de Tunisie, Aziz s’est formé en psychologie et en sociologie à l’Université de Montréal où il a travaillé dans des équipes de recherche en sciences humaines. En 2021, il se réoriente vers le journalisme, en rejoignant les Hebdomadaires de l’Ouest de l’ancien Journal Métro. Sélectionné au stage estival du quotidien Le Devoir en 2023, il a ensuite occupé les fonctions de chef de section au journal étudiant Le Quartier Libre. Aziz est passionné de journalisme sous toutes ses formes (reportages, pupitre, etc.), et il aime discuter des subtilités du quatrième pouvoir avec le grand public.