Vêtements drag, robes à clochettes, thobes palestiniens, jupes mayas et vestes en jeans se sont côtoyés dans un défilé de mode sur le thème de la diversité, le soir du 12 octobre à la Maison de la culture de Verdun. Cette production a mis à l’affiche les créations de cinq stylistes pour une expérience interculturelle flamboyante le temps d’une soirée.
En avant la musique

Frédérique Gros-Louis, styliste wendate, ouvre la cérémonie avec sa composition. Derrière une musique de pow-wow, des mannequins – dont deux jeunes enfants – dansent dans leurs robes à clochettes colorées.
Ces habits de cérémonie, dits regalia, s’inspirent d’une histoire singulière : une petite fille ojibwée est malade, et son grand-père demande au Créateur de la guérir. Dans un rêve, il apprend qu’il doit confectionner une robe pendant un an.
« À chaque jour, il devait poser une clochette sur la robe […] Quand est venu le jour pour la fille de danser avec la robe, elle a fait un premier tour d’arène – elle avait besoin de deux personnes pour la supporter. Le deuxième tour, elle était capable de marcher seule. Le troisième tour, elle était capable de danser », raconte Mme Gros-Louis.
La styliste puise souvent son inspiration dans ses rêves, où elle imagine des robes colorées. « Quand je me réveille, je les dessine pour ne pas oublier ! », précise-t-elle en riant.

Iman Nakhala, née de parents palestiniens, poursuit le défilé avec ses combinaisons noires aux motifs complexes – des thobes, en arabe. Des mannequins de toutes tailles et origines défilent en habits traditionnels et talons hauts. Lorsqu’elles se retournent, leur robe se soulève gracieusement.
« Chaque motif veut dire quelque chose pour chaque section de la Palestine », avance-t-elle. Femme du boulanger, lune de Bethléem, amulette… Traduits de l’arabe, les « drôles » de noms ne manquent pas pour désigner ces motifs. Arborer un certain type d’ornement revient à affirmer son état civil ou son statut, explique-t-elle.
La collection présentée au défilé de Verdun a été fabriquée à la machine, mais, pour ses robes faites à la main, elle dit employer des femmes dans des camps de réfugiés, leur fournissant ainsi un salaire.

Marta Orellana est une artiste k’iche’ – peuple maya du nord du Guatémala. Hauts courts, mini jupes, vestes en jeans et pantalons à pattes d’éléphant… La variété définit ses pièces.
En coulisses, la styliste décrit l’une de ses jupes festives, une mengala : « Les femmes mayas métissées, comme moi, étaient réduites au nom de cette jupe. Elles n’appartenaient même pas à une nation : elles ne faisaient pas partie des Espagnols, des Portugais ou des Italiens, elles ne faisaient pas partie des Mayas ; elles étaient juste des Mengalas. »
La sensualité de cette jupe « a justifié tant de violences envers les femmes », déplore Mme Orellana. Se sentir « fière » de la porter, c’est « se réapproprier » sa signification, selon elle.
Mme Orellana relate qu’elle a grandi au Canada après que sa famille a fui le génocide maya, reconnu par l’ONU.
Elle a dû retourner dans sa communauté d’origine pour apprendre le tissage au métier à ceinture. Elle regrette « l’appropriation culturelle » de cette technique ancestrale par l’industrie de la mode et du tourisme, car elle a mis « des années » à maîtriser cet artisanat.

Roy Luo, styliste drag de Toronto, prolonge le spectacle avec son équipe de modèles généreusement maquillés. Des mannequins portent des habits moulants. Endossant parfois un costume en forme de chaise ou de boulier, ces personnes ainsi travesties embrassent l’humour enfantin de leur déguisement.
Pour l’artiste, le mannequinat est, en soi, « une forme de jeu », une mise en scène. Roy Luo explore comment on « interagit » avec les jouets, et comment ces derniers « façonnent notre corps ». L’adepte de la mode s’amusait souvent à habiller des poupées, ce qui est à l’origine de sa vocation de styliste.
La communauté queer compte beaucoup pour Roy Luo. « Il y a un grand marché pour ça », pense l’artiste, qui « n’aime pas » associer une étiquette de genre féminin, masculin ou non binaire à ses pièces. « Il y a un usage prédéterminé pour chaque vêtement, mais au bout du compte, c’est la façon dont tu le portes qui va le définir. »

Shane Kejick clôture la parade de mode. Un mannequin vêtu d’un habit traditionnel rouge et agrémenté de plumes fait irruption, puis quatre autres portant des cagoules blanche, rouge, jaune et noire le suivent.
Ces modèles, M. Kejick les surnomme Neechi brothers. Ils illustrent la vie d’un homme « mêlé à des gangs et qui a des pensées suicidaires », décrit le styliste ojibwé.
Dans sa culture, le jaune symbolise la naissance ; le rouge, l’adolescence ; le noir, l’âge adulte et le blanc, la mort. C’est toutefois le mannequin vêtu de blanc qu’on voit d’abord sur scène et ensuite, celui de rouge, souligne l’artiste. Ils illustrent ainsi la fin de l’« ancienne vie » de cet homme, qui « renaît » en laissant derrière lui son passé suicidaire.
M. Kejick conçoit de la mode urbaine, autochtone et masculine. « Tout le monde a déjà porté une paire de Nike […], c’est comme ça que je veux que ma marque devienne », assure-t-il.
La photo en couverture du Quai 5160 a été prise par Nouri Nesrouche.