Biographie de Daisy Peterson Sweeney : invitation à découvrir cette autre légende de la Petite-Bourgogne

À l’approche du centenaire de la naissance d’Oscar Peterson, le célèbre pianiste de jazz originaire du Sud-Ouest, une nouvelle biographie vient éclairer l’histoire de celle qui l’a formée : sa sœur aînée, Daisy Peterson Sweeney. Intitulé La bâtisseuse de l’ombre, l’ouvrage signé Yves Lavertu propose une incursion sensible et rigoureuse dans la vie de cette pionnière afrodescendante du Québec, longtemps restée dans l’ombre.

Née en 1920 dans le quartier ouvrier du faubourg Saint-Antoine, aujourd’hui nommé La Petite-Bourgogne, elle grandit dans un environnement marqué par la pauvreté et le racisme. L’auteur, historien et éditeur, brosse dès les premières pages un tableau vivant du contexte économique et social dans lequel la famille Peterson tente de s’épanouir. On y découvre une maison modeste, mais habitée de musique, où le père, un visionnaire, n’hésite pas à acheter un piano en pleine crise économique afin d’offrir un avenir meilleur à ses enfants.

Portrait d’une enseignante résiliente

Dans ce cadre modeste, mais inspirant, Daisy Peterson apprend et transmet. D’abord en tant que sœur attentionnée et enseignante autodidacte, puis comme pédagogue diplômée du Conservatoire de McGill, elle forme son jeune frère Oscar, lui enseignant Bach, Chopin et Debussy. Le talent de ce dernier est indéniable, mais c’est bien sa sœur qui en a été la première catalyseuse.

Malgré les obstacles d’un monde discriminatoire, Mme Peterson trace son chemin. Le livre revient sur les nombreuses humiliations qu’elle a subies : ses rêves de devenir sténographe sont anéantis par les préjugés raciaux, et elle doit se contenter de petits emplois. « Chaque coup de pied est un coup de pouce », lui rappelle sa mère à chaque fois. La sœur aînée ne baisse jamais les bras, bel exemple de résilience qu’elle est.

La suite de sa vie, M. Lavertu la raconte avec précision et humanité : son emploi de riveteuse pendant la guerre, ses débuts comme professeure indépendante, l’ouverture de son studio, et surtout, son rôle fondamental dans l’éclosion de talents comme Oliver Jones et Reg Wilson.

L’itinéraire de Daisy est éclairé par celui d’Oscar qui évolue en parallèle, et vice et versa. Mme Peterson aurait préféré que son frère cadet consacre son talent à la musique classique, mais cela ne l’empêchait pas d’aller occasionnellement l’écouter jouer dans boîtes de jazz.

Cette dernière contribue aussi à fonder le Montréal Jubilation Gospel Choir, et devient une matriarche bien aimée, ne cessant jamais de transmettre, que ce soit à travers l’enseignement musical ou l’engagement communautaire.

Un livre pour le lectorat francophone

Yves Lavertu réussit, dans cette biographie de 384 pages, à redonner à Daisy Peterson Sweeney sa place dans l’histoire culturelle du Québec. Avec rigueur historique et sensibilité littéraire, l’auteur livre le portrait d’une femme résiliente, lucide et profondément engagée. Son récit permet aussi de reconnecter le lectorat francophone avec une figure restée jusqu’ici cantonnée à la mémoire anglophone.

Décédée en 2017, Daisy Peterson Sweeney a été honorée de son vivant, notamment par la Ville de Montréal qui a nommé un parc en son nom dans le Sud-Ouest. Elle a aussi rencontré Nelson Mandela et reçu le prix Martin Luther King. Grâce à ce livre richement illustré, elle retrouve la lumière, non plus seulement comme la sœur du « Maharaja du clavier », mais comme une bâtisseuse essentielle d’un pan de l’histoire afroquébécoise.

La photo en haut de cet article représente Daisy et Oscar Peterson en 1945. Elle appartient à Bibliothèque et Archives du Canada.